Sophie Gent violin
Myriam Rignol viola da gamba
Thomas Dunford archlute
Jean Rondeau harpsichord and organ
Di 16 February 2025
17h
Salle de musique
La Chaux-de-Fonds
Heinrich Ignaz Franz Biber (1644 – 1704)
Sonata II in D minor for violin and
basso-continue (1681)
Johann Hieronymus Kapsberger (1580 – 1651)
Toccata II in D minor
(Libro primo d’intavolatura di lauto)
Johann Jakob Froberger (1616 – 1667)
“Meditation on my future death”
transcribed for viola da gamba
Johann Jakob Froberger
Toccata II in D minor
Heinrich Ignaz Franz Biber
Sonata V in E minor for violin and
basso-continue (1681)
Johann Hieronymus Kapsberger
Toccata VI in F major
(Libro primo d’intavolatura di lauto)
Johann Jakob Froberger
Toccata VI in G minor – Da sonarsi
alla Levatione
Heinrich Ignaz Franz Biber
Sonata VI in C minor for violin and
basso-continue (1681)
A gifted composer and violinist, Heinrich Ignaz Franz Biber produced a host of sacred works and revolutionized the technique of his instrument, leaving behind him a legacy of virtuoso and imaginative scores, meditative or ardent, eminently spiritual and spectacular.
Designed around his violin sonatas, the program promises a veritable voyage of initiation, under the intense, inspired bow of violinist Sophie Gent.
Born in Perth, Australia, Sophie Gent studied classical violin in her hometown before furthering her Baroque violin skills with Ryo Terakado in The Hague between 1999 and 2005. She is a member of several ensembles, including the “Mito Dell’arco” string quartet in Japan and the Canadian-based Ensemble Masques (concertmaster). She has played first on a Gennaro Gagliano violin (1732), then on a Jakob Stainer (1676). Professor of Baroque violin at the Amsterdam Conservatory from 2011 to 2014, she currently teaches at the Boulogne-Billancourt Conservatory.
The Australian virtuoso will play alongside Jean Rondeau in the new ensemble formed for the occasion. Lute player Thomas Dunford and violinist Myriam Rignol round off the high-flying cast.
Musician François Cattin has come up with an original text, as much for its content as for its form. Discover the thoughts and impressions from concert to concert.
« Le temps est l’aliénation nécessaire. »
Guy Debord, la société du spectacle (1968)
Je suis l’homme qui entend, du matin au soir, sans répit. Sans volonté. Les sons de la route et de la radio, ceux des machines et des enfants des autres. Hier encore dans le train, il fallait se protéger du bruit-portable qui mangeait l’espace commun : vivre seul et sous casque pour ne plus rien entendre du monde, jusqu’à se protéger du chant des merles en courant dans les bois. Je suis l’homme pressé, affamé de sons, casqué, zappé, l’homme augmenté, abreuvé d’informations, l’homme qui tient dans sa poche toute la musique du monde. Je cherche un cloître. Alors je sors pour entrer dans la salle. Là où l’on écoute ensemble.
L’accord de ré mineur déchire l’air au cuter. Il ouvre un drame qui se joue depuis mille ans : pour exister, la musique doit réapparaitre, ressortir du néant, repulvériser le temps. Renaître toujours. Conjurer la mort. Elle doit recommencer encore l’embrasement de l’air qui nous consume tout éveillés. C’est peut-être la raison pour laquelle je pose tant d’attentes sur ces officiants qui ramènent à la vie les sons trépassés depuis longtemps : la musique est un art de vivants. Je regarde les musiciens s’écouter, je les écoute se regarder, se prendre dans les sons, se permettre d’exister ensemble, se prévoir et s’envisager. Je les observe vivre sans un mot. Ils semblent se tenir au service les uns des autres, fabriquant la musique comme on façonne par la pratique un morceau de temps commun. Je me dis alors que l’écoute permet aux Hommes ce prodige, sinon de s’aimer, du moins de se haïr moins vite.
Alors la musique apparait, habillée de sons que je sais (des accords, des lignes, des gammes) mais cheminant dans un temps qui m’est presque inconnu. On le dirait liquide et dépourvu d’attentes, un temps large comme une mer sur laquelle on s’orienterait en faisant parler le ciel et en appelant les astres par leur nom : sait-on encore s’y prendre ? Le temps des toccatas de Froberger et de Kapsberger n’est pas pulsé, ne répond pas à une obligation chiffrée (le métronome est une invention des Lumières), il semble épouser le moment de l’écoute. Je m’y love, je m’y plonge à en devenir fou, n’y décelant aucun ordre auquel il s’agirait d’obéir. La mémoire même ne semble d’aucun secours car elle ne parvient ni à anticiper ni à reconnaître le passé proche : on m’accueille donc au présent. Au jour d’hui. C’est une sensation d’a-pesanteur, d’espace sans poids. Je ne suis pas loin de vous, reliés que nous sommes par un temps libre et par un mode harmonique stable et limité, où la tonique fait figure de foyer dont on s’éloigne un peu seulement, sans chercher jamais à la tenir à distance. La liberté n’est pas une affaire d’espace, mais bien de sa perception.
Tempus fugit. Le temps passe. Vient un moment où la musique se tait, où le silence revient hanter ma peur d’homme d’aujourd’hui. J’applaudis pour le rompre, le terrasser et le conjurer à toute force, car je veux bien de lui, mais à la condition qu’il soit perclus d’espérance. La « méditation sur ma mort future » devient ainsi une réflexion sur fin du temps de l’écoute, l’arrivée du silence et comment désormais je l’écoute, chargé qu’il est désormais de la rencontre faite. Le retour à la pesanteur des choses n’est jamais le retour de la chose seulement, car elle ne vient plus seule. Jamais.
Alors je sors. Sur le chemin du retour chuchotent les strates du monde – libellules, voisins, arbres, cloches, machines. Je les écoute, je leur prête attention, leur porte des égards. Je me décentre pour entrer dans la ronde de l’enchevêtrement sonore, cette mécanique mystérieuse sans commencement et sans terme au cœur de laquelle je peux devenir l’Homme qui écoute. Premier pas vers un amour du monde.